14/11/05

Importance du site : en 1979, deux géologues (MM Gidon et Barfety) travaillant pour la remise à jour de la carte géologique de La Mure ont réinterprété la présence de gros blocs de basalte situés à proximité du col d’Ornon près du hameau de La Chalp. Leurs observations les ont conduit, pour la première fois à interpréter la zone Taillefer, col d’Ornon et Rochail en terme de blocs basculés associés à la formation d’un rift. C’était le premier pas vers la ré interprétation de toute l’histoire tectonique des Alpes.

Tout ce versant du Taillefer et du Grand Armet présente une face très abrupte, c’est la faille d’Ornon dont le rejet est de l’ordre de 2000m. Cette faille se poursuit loin au N par le col du Glandon et le col de la Madeleine.

Chantelouve doit signifier Champ de pierres et la Chalp désigne les champs.

Un peu au N du hameau de la Chalp vers le col d’Ornon, commune de Chantelouve, un gros bloc de basalte est détaché au pied de la paroi qui descend du Grand Armet. La paroi a, à cet endroit plus clair, toutes les caractéristiques d’un miroir de faille (école d’escalade dans la zone claire derrière le bloc).

Dans cette zone, trois types de blocs sont facilement identifiables :

• Des blocs noirs un peu verts avec des points noirs et blancs, réaction avec HCl ; ce sont des basaltes (variolite du Drac ou spilite). Ils ont été datés de 200Ma soit fin trias début jurassique.

• Des blocs plus clairs couverts de lichen caractéristique des roches siliceuses : éléments du socle du Gd Armet qui est un para gneiss.
• Des blocs à la patine ocre orange caractéristique de la dolomie, du trias dans le cas présent.

Le basalte est presque toujours au-dessus de la dolomie et toujours au-dessus des calcaires du jurassique. Ce basalte correspond à du basalte de trapp issu de volcans type hawaiien très effusifs. Il s’agit d’un volcanisme alcalin intra plaque : on est en présence des premières manifestations volcaniques de l’étirement crustal conduisant à la formation d’un rift avec apparition de blocs basculés.

Dans un premier temps, la géologie de la zone a été interprétée en terme d’érosion glaciaire et d’éboulements post glaciaires suite à la décompression.

La taille de ce bloc est telle que le terme de débris n’est plus utilisé mais celui d’olistolite ou de méga brèche. Cet olistolite de basalte repose sur des couches de marnes bleues schistosées datées grâce à la présence d’ammonites du toarcien (lias sup). La couche de calcaire bleu est entre le miroir de faille et le bloc mais aussi sous le bloc. Un examen approfondi permet de voir que la base de ce bloc est emballée dans la marne argileuse comme d’autres blocs plus petits de basalte, de socle ou de dolomies. La couche contre le miroir de faille du socle est du toarcien qui enrobe aussi de nombreux galets bien arrondis de calcaire du lias.

La succession stratigraphique de la zone comporte de bas en haut: les dolomies du Trias, des spilites de la fin du Trias; du calcaire du Lias (Hettangien à Carixien inclus); des marno-calcaires du Lias schisteux du toarcien où la stratification est très peu visible et totalement masquée par la schistosité.

Cet emballage dans le toarcien signifie que l’éboulement est contemporain du toarcien et qu’il ne peut pas s’agir d’un éboulement post glaciaire. Ces éléments de l’éboulement : olistolites, blocs de basalte, de socle ou de dolomie et les morceaux de calcaire du lias inf ont été fossilisés dans le toarcien (lias sup). Les blocs sont tombés dans le toarcien qui a continué à se déposer et les a engloutis. Au toarcien, le fond de la mer n’est pas plat, l’image que l’on se fait du fond de la mer au jurassique doit être revue car ce fond n’est pas plat. Le contact entre socle et dépôts sédimentaires montre bien que le relief était tourmenté, dénivellations d’origine tectonique.

Il y a un second olistolite de basalte, plus gros encore au-dessus du hameau de La Chalp. Quand il y a toute une zone avec des olistolites, on parle d’olistrostrome.

Avant la ré interprétation de 1979, la faille d’Ornon était associée à un soulèvement différé de Belledonne et du Taillefer par rapport au Rochail. La reprise d’interprétation conduit à prendre en compte un éboulement sous-marin au toarcien, éboulement de la crête du haut fond que représente le Taillefer par rapport au fond de l’hémi graben situé au niveau du col d’Ornon. En 1979, cela fait une dizaine d’années que la tectonique des plaques est une théorie reconnue, les failles normales décalent des éléments de socle avec l’apparition d’un rifting. Nous sommes en présence de blocs qui ont basculé pendant le lias, des éboulements ont eu lieu lors du jeu probablement saccadé de la faille normale, les blocs éboulés (socle, dolomie) sont tombés dans les marnes du toarcien qui a continué à se déposer. Lors de sa chute, l’olistolite a entraîné des galets de calcaire du lias inf plus récent que les marnes du toarcien. Ces différents blocs sont répartis le long de la faille au pied du Gd Armet et ne se retrouvent par ailleurs dans les mêmes couches du col d’Ornon.

Reconstruction des principales étapes de l’évolution dans cette zone.

1 - au trias

Des fissures de ce type avec un faible rejet sont visibles au lac du Vallon, le cas du lac Besson est moins probant.

2 - au lias inférieur

3 - au lias sup : période paroxysmale du rifting

La partie haute se détache lors d’un des séismes qui accompagnent le jeu de la faille, de même que le basalte résulte de l’épanchement de lave provoqué par cette même ouverture de rift. L’éboulement a été fossilisé dans les marnes calcaires du toarcien.

4 – lors de la refermeture. Deux hypothèses :

a – la faille a rejoué en inverse ce qui est quasi impossible vu l’angle de 60° par rapport à l’horizontale, il aurait fallu que le jeu des différentes failles listriques couche les blocs et que la pente de la faille se rapproche de 30°. Dans une telle hypothèse, il n’y aurait pas eu de plissement significatif des sédiments.

b – sous la poussée, la déformation du bloc du Rochail se traduit par une sorte de rotation de la surface du bloc du Rochail vers le Taillefer entraînant un plissement des calcaires comprimés entre les deux blocs du socle.

Ensuite il y a eu un soulèvement de l’ensemble et un décapage par l’érosion et les glaciers.

Différentes fissures de Riedel confirment le mouvement de descente du bloc du Rochail par rapport à celui du Taillefer.

Par contre, en partie basse, des stries de calcite et ou de quartz (tectoglyphes) témoignent d’un mouvement de même direction mais ascendant.

Les tectoglyphes correspondant à un mouvement de rejeu en inverse de la faille concernent une faible hauteur: soit la faille a rejoué sur une petite hauteur soit plus probablement ces tectoglyphes sont ils dus au glissement des couches sédimentaires lors de la refermeture entre les blocs basculés.

Le basalte des blocs présents dans cette zone présente des pustules blanches (CaCO₃). Ce calcaire a trois origines possibles :

• le basalte s’épanche dans la mer et se mélange aux sédiments, hypothèse la moins probable
• pustules dues à l’hydrothermalisme,
• existence de deux types de magma, un magma basaltique classique et un magma très calcaire pouvant blanchir en refroidissant (carbonatites). Ces deux magmas forment une émulsion.

Dans la partie haute du miroir deux bandes de roches plus foncées : ce sont deux anciennes cheminées magmatiques non vidangées (dolérite) qui devaient alimenter le même volcan que celui qui est à l’origine des olistolites. Cas identique avec la bande noire (cravate) du Fifre près des Ecrins.

Il est possible de préciser la chronologie entre les deux olistolites, en examinant notamment les sédiments qui recouvrent chacun. Les sédiments qui couvrent celui de la Chalp sont de même nature que ceux sur lequel repose l’olistolite qui est en amont de la Chalp. Par ailleurs, les sédiments qui recouvrent l’olistolite de La Chalp présentent un crochon en partie haute correspondant à un mouvement des parties supérieures du haut vers le bas ce qui est l’inverse des mouvements tectoniques reconnus dans cette zone. Ces deux éléments montrent que l’olistolite de la Chalp est tombé le premier.