APPROCHE QUANTITATIVE de l’EROSION des VERSANTS ROCHEUX

Document de référence DEA Mathieu Jeannin

Les éboulements de rochers font partie de l’érosion des versants montagnards. Pouvoir évaluer la probabilité d’occurrence et quantifier les volumes concernés est important pour l’aménagement des communes concernées. Les éléments principaux qui interviennent dans la quantification des éboulements sont l’échelle prise en compte (localement ou dans un bassin versant), le massif par sa nature géologique, son couvert, sa météo et le temps.

 

I - Approche locale.

Pour une approche quantitative locale, la détermination de la vitesse d’érosion est déterminante. Quelques valeurs donnent les ordres de grandeur :

Ravinement dans les marnes 10 à 15 mm/an

Erosion torrentielle bassin versant 0,5 à 2 mm/an

Dissolution gypse 1 mm/an

Dissolution calcaire 0,1 mm/an

Gélifraction (calcaire, gneiss, quartzite) 0,1 mm/an

Il existe cependant une grande variabilité de ces valeurs en fonction des terrains, du couvert végétal et des conditions de ravinement.

Le ravinement, l’érosion fluviatile ou torrentielle sont des facteurs importants et permanents d’érosion. Pour déterminer les vitesses d’érosion associées, des relevés sont faits de manière périodique : l’analyse de photos aériennes stéréoscopiques prises entre deux dates, mise en place de témoins ou d’échelles de mesure. La crête qui se forme entre deux ravines est appelée interfluve. Pour la dissolution, des éprouvettes sont disposées aux endroits appropriés, elles sont pesées régulièrement.

La gélifraction (alternance de gel et de dégel) est un phénomène de surface. Dans les Alpes, elle est plus efficace entre 2000 et 3300m entre l’enneigement quasi permanent et le gel absent plus de la moitié de l’année. Pour l’étudier, on utilise les cavités sous les roches de manière à isoler cette action du gel et on recueille avec un panier les débris de cette gélifraction (expériences faites à Chamechaude pour l’urgonien donnant 0,1 à 0,3 mm/an). Les marnes sont souvent très imprégnées d’eau ce qui favorise l’action du gel encore très actif à 1000m d’altitude. Cet effet est apprécié des chercheurs de fossiles qui se trouvent ainsi dégagés de la roche qui les enrobe.

Pour un même type de roche, il peut y avoir de grandes variations de sensibilité à l’érosion en fonction de la constitution, de l ‘induration ou du passé tectonique. Par exemple les marnes de l’Oxfordien ont une vitesse d’érosion de 3,4 cm/an alors que pour les marnes grises du crétacé cette vitesse tombe à 1,4 cm/an voire 0,6 cm/an en présence de fins bancs de calcaire. Entre ces deux extrêmes, les marnes vertes du Luberon ont une vitesse d’érosion de 2 cm/an.

 

II – Approche globale.

Une mesure plus globale de l’érosion est obtenue en mesurant par exemple le cubage des sédiments accumulés dans un barrage entre deux vidanges complètes : exemple du barrage du Chambon où la mesure a été faite entre les années 1935 et 1980. Cette mesure peut être affinée en suivant la concentration de l’eau en éléments dissous et en matières en suspension. Ensuite, il faut déterminer le bassin versant pour faire le rapport volume détritique/surface bassin versant. Dans la détermination du volume d’éléments détritiques, il faut tenir compte du taux de vide entre les blocs qui atteint facilement 50%.

Dans les reliefs karstiques, il est possible de mesurer la concentration de CaCO3 et de CaSO4 dans l’eau des exurgences et d’intégrer sur le débit. Le problème de cette mesure est la difficulté de déterminer le bassin versant car le réseau karstique fait facilement communiquer les bassins versants entre eux. Lorsque cette eau saturée en calcaire sort de sa galerie, la pression partielle en CO2 de l’air ambiant baisse et le calcaire précipite : fontaine pétrifiante. L’eau froide peut dissoudre plus de gaz carbonique, elle est donc potentiellement plus agressive.

Nota: CaCO3 est peu soluble dans l’eau (13mg/l, moins que la silice) mais sa solubilité augmente en présence de CO2

CaCO3 + CO2 + H2O « Ca++ + 2(HCO3)-

Les mesures faites sur les karsts du Vercors donnent des vitesses d’érosion de l’ordre de 0,1 mm/an.

 

III – Estimation de l’érosion par éboulement après le retrait des glaciers du Würm.

Les vallées creusées par les glaciers du quaternaire sont bordées de falaises et au pied de ces falaises, des zones d’éboulis témoignent d’éboulements. Ces talus d’éboulis sont caractéristiques et un classement gravitaire des blocs est repérable. A partir de ces talus, une estimation du volume est faite en recherchant la forme initiale du terrain et en tenant compte du taux de vide. Pour en déduire une vitesse d’érosion, il est nécessaire de dater ces éboulements. Ceux ci ont eu lieu sur des terrains couverts de végétation qu’il a été possible de retrouver par carottage et de dater au 14C. Ces éboulements dus à la décompression post glaciaire correspondent à une érosion de 1mm/an env.

 

IV - Exemple des gorges de l’Arly.

Ces gorges étroites sont l’objet de nombreux éboulements, réguliers et parfois très importants. De ce fait, les services de l’équipement passent tous les jours pour dégager la route et ils font un relevé des éboulements depuis 1948.

Cette route, entre Ugine et Praz sur Arly est au pied du versant E des Bornes. Au fond de la vallée les micaschistes de la série satinée de Belledonne qui constituent le socle métamorphique, présence de talus naturels ou artificiels en bordure de route. La roche est fortement schistosée, la route est souvent parallèle à cette schistosité verticale ce qui favorise les chutes de pierres. Sous l’effet de la gravité, la roche schistosée a tendance à s’incliner ce qui favorise les éboulements (il se crée un phénomène de fauchage dans ces couches). Ce phénomène peut être à l’origine de grandes zones de glissement de terrain.

Les roches sédimentaires du houiller au dessus de ces roches cristallines sont constituées de conglomérats massifs alternant avec des bancs de grés micacés et des couches de schistes gréseux. Ces couches sont inclinées de 40 à 50° vers l’W donc vers la vallée en rive droite, ce pendage pouvant se rapprocher de l’horizontale en raison d’un phénomène de fauchage. Les sédiments du trias reposent sur le houiller : grés, calcaires dolomitiques très altérés, marnes et marno calcaires. Les terrains du trias ne sont pas impliqués dans les éboulements.

La vallée de l’Arly se partage en trois zones :

 

L’inventaire des éboulements dans les gorges de l’Arly a été lancé suite à un éboulement important ayant emmené la route en 1948. Cet inventaire est très intéressant mais il est par défaut car les éboulements de peu d’importance peuvent s’arrêter juste avant ou après la route sans laisser de rochers sur la route ou en n’y laissant qu’une partie.

Dans les hautes gorges, on recense 111 éboulements de 1 à plus de 10 000m3 ( micaschistes surplombants) ; dans les gorges moyennes19 éboulements de plus de 1m3, dans les gorges inférieures 23 éboulements.

 

Depuis l’éboulement de 1976, il y a moins d’éboulements et plus d’éboulement important dans la partie haute car des travaux de purge des parois et la mise en place de protections ont été réalisés.

Approche quantitative.

L’estimation de la vitesse d’érosion à partir du volume des éboulements est de 2mm/an. Cette valeur est sous estimée car tous les éboulements ne sont pas comptabilisés.

N nombre cumulé d’éboulements par siècle de volume supérieur ou égal à V.

V volume de l’éboulement en m3.

On retrouve souvent une statistique du type N = a V-b. Avec b de l’ordre de 0,5 variant en fonction de la nature du terrain.

En intégrant cette formule on trouve théoriquement le volume de roche qui s’est éboulé, cette valeur est infinie si on ne borne pas l’intégrale par le volume du plus gros éboulement possible. Dans le cas présent, l’inventaire réalisé permet de limiter le volume à 10000m3. Le calcul fait sur cette base donne 2,46mm/an. L’ordre de grandeur de cette valeur est correct, si le calcul avait été fait avec une valeur maximale de 100000m3, la vitesse d’érosion serait passée à 7,12 mm/an ce qui est trop élevé, cette méthode permet d’avoir l’ordre de grandeur des vitesses d’érosion mais est très sensible à la borne supérieure qui reste une estimation.

 

V – Exemple du sillon alpin (Grésivaudan).

Méthode 1:

Pour la détermination de la courbe du nombre d’évènements, des recherches ont été faites dans les archives pour identifier les éboulements et ensuite, sur place, retrouver les traces de ces éboulements et en estimer le volume. On retrouve la trace de 200 à 300 événements dans la vallée sur les flancs de la Chartreuse et du Vercors dont 61 éboulements de plus de 10m3 en 4 siècles. La courbe déterminée sur son segment s’appuyant sur des éboulements historiquement attestés est N = 174 V-0,39 .

L’éboulement du Granier de 1248 n’est pas pris en compte car il est orienté vers le N en dehors de la vallée du Grésivaudan. Dans la région, le plus gros éboulement retrouvé est celui de Saint Paul de Varces dont le volume a été estimé à 4 500 000m3. Le calcul sur cette base donne une vitesse d’érosion moyenne de 3mm/an. Si on avait pris les 25 Mm3 du Granier (sur les 500Mm3 constatés seuls 25Mm3 appartenaient à la falaise, le reste représente des marnes qui ont été entraînées lors de l’éboulement), la valeur moyenne d’érosion aurait été de 8,5 mm/an valeur qui paraît trop élevée.

 

Méthode 2:

L’érosion à l’origine de cette vallée a concerné le plateau urgonien. Une estimation a été faite de l’emprise de ce plateau urgonien avant son érosion (reconstitution paléogéographique). Les études ont montré qu’il s’étendait au barrémien/aptien jusqu’à l’Accident Médian de Belledonne, le retrait de la falaise a été de l’ordre de 10 à 15km. Le début de l’érosion remonte au début du miocène soit 10Ma. Le rapport volume par durée donne 1 à 1,5 mm/an.

 

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plate-forme urgonienne au Barrémien/Aptien (d’après Arnaud, 1979)