L'AFRIQUE DU SUD PRECAMBRIENNE
(3,6 à 0,6 Ga)
Désiré Corneloup
NOTA : Si on considère que la Terre a 4,5 milliards d'années (4,5 Ga), la période couverte par cette excursion géologique qui couvre 3 Ga, est donc la plus importante que l'on puisse faire dans le temps. Cette période est cependant moins connue que celle des 600 derniers millions d'années. Cette excursion a été organisée l'Association Meta Odos ( www.metaodos.com ) qui regroupe des géologues professionnels, ou des amateurs avertis, et elle a été conduite par J.F. Moyen, de l'Université de Stellenbosch (République d'Afrique du Sud). Par ailleurs les descriptions d'excursions géologiques de Nick Norman et Gavin Whitfield ( www.struik.co.za ) ont été une aide précieuse pour synthétiser les études de terrains.
ASPECT GEOGRAPHIQUE ET GEOLOGIQUE
La République d'Afrique du Sud, première puissance économique du continent africain, occupe une surface de 1 200 000 Km2 pour 45 millions d'habitants, dont plus de 75% sont de race noire.
Le pays est en grande partie occupé par un vaste plateau, entre 1 000 et 1 500 m d'altitude, qui s'abaisse doucement à l'Ouest (Bushmanland), au Nord (vallée du Limpopo) et au bord de l'Océan Indien (de Cape Town au Mozambique). La partie Est de ce plateau est bordée par la chaîne de montagne basaltique du Drakensberg (point culminant : 3 446 m ).
L'atout principal du pays est la richesse de son sous-sol, fortement minéralisé. L'Afrique du Sud compte parmi les grands producteurs mondiaux de platine (75% de la production mondiale), d'or, de diamant, de chrome, de titane, de vanadium, de manganèse, d'uranium, de cuivre, d'antimoine, d'argent, de fer et de charbon. Avec toutes ces richesses, on dit parfois que l'Afrique du Sud « est un scandale géologique ! ».
Géologiquement, l'Afrique du sud est un vieux pays, dont une grande partie a été structurée à l'Archéen (du mot archéozoïque, qui signifie animaux anciens): les roches les plus anciennes ont 3,6 milliards d'années (3,6 Ga). Le craton constitue un bloc archéen (le craton du Kaapvaal), qui n'a subi pratiquement aucune transformation au cours des âges et qui est lui-même une mosaïque d'unités assemblées en plusieurs épisodes entre 3,6 et 2,7 Ga. L'unité la plus ancienne, constituée d'orthogneiss se situe à la frontière du Swaziland : c'est le bloc archéen de Barberton. C'est au sein de ce bloc, dans la vallée de la rivière Komati, qu'affleurent les fameuses komatiites (laves ultramafiques, riches en MgO), laves extrêmement fluides à fort taux de fusion, datée de 3, 5 Ga, et qui sont considérées comme ayant formé le premier plancher océanique de l'histoire de la Terre. L 'olivine y forme de cristaux parfois décimétriques, allongés et entrelacés (croissance rapide dans un milieu en surfusion), ce sont les structures dites « spinifex ». Les spinifex sont des buissons épineux du désert. Les autres unités, Dôme de Johannesburg, Pietersburg, Murchison, sont formées d'arcs insulaires et/ou de microcontinents qui sont venus se coller au bloc de Barberton. Au fur et à mesure que le craton du Kaapvaal se stabilise, des séries sédimentaires viennent s'y déposer : d'abord des roches magmatiques du type roches vertes, puis des unités granitiques provenant de la collision de l'unité de Barberton avec un, ou plusieurs, microcontinents et enfin, divers produits d'érosion. Le craton du Kaapvaal se comporte, à partir de là, comme un bloc solide contre lequel viennent encore se coller, s'écraser, ou s'accréter, différentes unités exotiques, type arc insulaire, et sur lequel pourront se déposer grès, argiles ou niveaux volcaniques. L'une de ces unités, le Witswatersrand renferme le plus important gisement d'or du monde (31% des réserves mondiales connues). L'existence d'or dans des terrains archéens et dans un contexte d'accrétion d'arc insulaire est très fréquente.
Dès que l'on quitte l'Archéen (2,6 Ga), on entre dans le Protérozoïque (2,6 à 0,54 Ga) qui signifie premiers animaux), le craton du Kaapvaal est affecté d'un rifting (ou plusieurs ?) associé à un important volcanisme basaltique et rhyolitique. L'ouverture de ce (ou ces) rift(s) repousse vers le Nord une partie du craton qui entre en collision avec la zone sud d'un autre craton, le craton du Zimbabwe, séparé aujourd'hui du Kaapvaal par la Ceinture du Limpopo qui est le reste de la chaîne de collision. Le craton du Kaapvaal connaît, vers 2 Ga (datation récente 2 050 Ma) un important épisode magmatique basique, caractérisé par des remontées mantelliques et qui se manifeste par de nombreux édifices alcalins et des essaims de filons, mais surtout par le grand complexe du Bushveldt qui arrive à couvrir 65 000 Km2 sur une épaisseur de 7 à 9 Km . Ce qui complique l'étude stratigraphique de cet épisode volcanique c'est qu'il y a eu plusieurs venues successives de
magma s'échelonnant sur 5 Ma et qui se sont accumulées en essaims de sills intrusifs dans des séries sédimentaires. Le magma ainsi piégé au fur et à mesure de son arrivée, aucune éruption n'a eu lieu, et il s'est donc formé un complexe plutonique, dont le sommet arrive parfois non loin de la surface, plutôt que des trapps. Les roches du Bushveldt appartiennent alors à la famille des gabbros. De plus, ces réalimentations en magma frais successives modifient constamment les équilibres acquis au sein des magmas déjà refroidis. On aboutit donc à des litages magmatiques par effets cumulatifs, gravitaires ou chimiques. Et c'est au sein de ces litages que l'on trouve d'importants niveaux minéralisés tels que chromites, platinoïdes, magnétite et vanadium. L'hypothèse la plus fréquemment admise pour l'origine de ce magmatisme, c'est un point chaud associé à la remontée de diapirs successifs du manteau.
Enfin, il y a 2 023 Ma, une énorme météorite, dont le diamètre a été estimé à 10 kilomètres , a percuté la Terre à une centaine de kilomètres au sud de Johannesburg, à Vredefort. Cette météorite a laissé le plus ancien, et l'un des plus importants, impact météoritique connu : à l'origine, 15 kilomètres de profondeur, 300 kilomètres de diamètre, 70 000 kilomètres cubes de matière expulsée, associé à une sismicité de magnitude 14 sur l'échelle de Richter (le maximum observé dans les temps modernes est de 9, 2, et l'échelle est logarithmique !). Un métamorphisme d'impact s'en est suivi (shatter-cones, brèches, pseudotachylites, granophyres). Ce sont les indices dispersés de ce métamorphisme dans tout le bassin du Whitwatersrand, et un peu au-delà, et la gravimétrie qui ont permis de reconstituer l'histoire de cette météorite. A l'heure actuelle, l'érosion aidant, il ne reste plus, apparentes, que les traces du bombement central du cratère d'impact dans les environs de Vredefort. De plus, ce sont les épais et divers sédiments issus de cet impact qui ont caché et protégé les dépôts aurifères, jusqu'à ce que l'érosion les mette enfin maintenant à notre portée.
La fin du Protérozoïque voit un important métamorphisme, des accumulations sédimentaires et la formation de reliefs : provinces de Namaqua et de Natal.
Le Paléozoïque voit les intrusions de granites du Cap et un Grand Age Glaciaire au Permo-Carbonifère couvrant une grande partie du continent Gondwana. Au Mésozoïque le Gondwana se disloque, avec pour conséquence, entre autres, les émissions d'importants épisodes de magma basaltique (au Drakensberg, le basalte s'est accumulé sur une hauteur de 2 000 mètres ), et les dépôts sédimentaires se développent sur l'ensemble du pays : une épaisseur de 10 000 mètres de sédiments dans le Bassin du Karoo. Localement, les séries sédimentaires sont surmontées de dykes de roches résistantes (les kopjes) ; il s'agit d'intrusions de dolérite qui se sont mises en place au Jurassique et qui ont jusqu'ici échappé à l'érosion. Au Crétacé, une nouvelle phase d'activité volcanique se traduit par la formation des kimberlites (laves alcalines, rencontrées généralement dans un contexte intra-plaque), qui se mettent en place sous forme de cheminées d'explosion (les « pipes ») dont la racine se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur. Ce sont donc les conditions favorables à la remontée des diamants qui s'étaient formés à la racine du craton du Kaapvaal, 3 Ga plus tôt. De l'extinction des dinosaures (65 Ma) jusqu' à nos jours, ce sont les épisodes d'aplanissement général du relief qui l'emportent. Il faut noter enfin que l'Afrique du Sud revendique d'être le « berceau de l'humanité » puisque les premiers Australopithèques y sont apparus il y a plus de 3, 3 Ma (Mokopane Valley).
Formation du cratère d'impact de Vredefort. Dans les carrières de brèches pseudotachylitiques .
AU FIL DE L'EXCURSION : DES ROCHES ET DES PAYSAGES
Il n'est pas question ici de faire un compte-rendu détaillé, et sans doute fastidieux à lire, des
nombreux sites visités et des très diverses roches recueillies sur une durée de quinze jours. Seuls les roches et les sites les plus remarquables qui peuvent illustrer la géologie très particulière de ce pays ont été mentionnés ici. D'autre part, le côté touristique (Parc Kruger par exemple), quoique très intéressant par ailleurs, a été complètement occulté.
LES KOMATIITES. Les coulées de komatiites, le long de la rivière Komati, dans le bloc de Barberton (site protégé), forment des amas de pillow-lavas. Sur des blocs déchaussés, les textures « spinifex » présentent des cristaux atteignant plus de 10 cm . On rencontre aussi des cherts carbonatés contenant de la matière organique. L'analyse a permis d'y découvrir des structures bactériomorphes ressemblant à des colonies de cyanobactéries. La datation est de 3, 3 Ga. On a donc affaire aux premières traces de vie sur Terre. En passant devant ce site, J.F. Moyen nous a demandé de nous recueillir une minute devant nos ancêtres !
DEPOTS DETRIQUES ET STRATIFICATIONS ENTRECROISEES. Toujours dans le bloc de Barberton, le long de la frontière du Swaziland, les conglomérats et les dépôts de grès des Moodies (3, 2 Ga) se situent le long d'une faille dans une zone broyée des plus photogéniques. Les galets multicolores de diverses origines y abondent, et dans les grès, les figures de stratifications entrecroisées et les litages rythmiques ont formé des doublets millimétriques grès-argile qui ont été interprétés comme des dépôts de marée. Une analyse des fréquences de ces rythmes a conduit à la conclusion que le mois lunaire archéen durait 20 jours au lieu de 28 actuellement. La Lune était donc plus proche de la Terre il y a 3, 2 Ga.
LES STROMATOLITES. Non loin de là (au Sudwala Pass), on traverse un bassin intracratonique qui témoigne de la stabilisation du craton du Kaapvaal à la fin de l'Archéen. Parmi les formations dolomitiques qui affleurent, apparaissent d'épais bancs de stromatolites (plusieurs mètres) qui attestent de l'activité photosynthétique des cyanobactéries. Encore un pas de plus vers la vie, il y a 2, 2 Ga. Ces cyanobactéries, présentes partout à cette époque, ont converti le dioxyde de carbone primitif en oxygène pour le relâcher d'abord dans les mers, puis dans l'atmosphère, aux alentours de 2 Ga.
LE BLYDE RIVER CANYON, LA MINE DE CUIVRE DE PHALABORWA ET LES BIG TREES. L'intérêt géologique de ce canyon, que l'on peut admirer du point de vue des « Three Rondavels », est qu'il correspond à un rifting important associé à la rupture du Gondwana. Le canyon est entaillé dans les quartzites au sommet et les schistes argileux à la base. Poursuivant vers le nord, on arrive à la mine de cuivre de Phalaborwa. C'est un pipe de carbonatites. Le puits principal atteint 760 mètres de profondeur. L'exploitation actuelle se fait en galeries souterraines. La mine ne se visite pas, mais on peut recueillir de nombreux échantillons dans les déblais : carbonatites, serpentinites, pyroxénites, micas, feldspaths, magnétite…Aux abords de la frontière du Zimbabwe, toujours au nord, on traverse la pittoresque région des « Big Trees » ; les baobabs géants y abondent, et, en particulier le « plus vieil arbre du monde » : 3 500 ans et il faut 24 personnes, se tenant par la main pour en faire le tour.
LA CEINTURE DU LIMPOPO, LES PREMIERS GRES ROUGES ET LA MINE DE PLATINE DE MOKOPANE. La zone centrale de la ceinture du Limpopo et formée de très spectaculaires roches poly-déformées en structures plissées et métamorphisées que l'on peut voir dans la Sand River (Réserve Naturelle de Musina). Il s'agit de gneiss TTG (trondhjémite, tonalite, granodiorite) et de métapélites vieux d'environ 3, 2 Ga. Les gneiss à faciès des granulites occupent en grande partie le sud du Limpopo. Les carrières de pierres ornementales y abondent. Partant de Musina et en prenant la route vers le sud, on traverse le tunnel Hendrik-Verwoerd creusé dans les premiers grès rouges de la région datés de 1, 8 Ga, ce qui témoigne de la transition vers une atmosphère oxydante à cette époque. La mine de platine à ciel ouvert de Mokopane, située dans le complexe du Bushveldt, produit 5 600 Kg de platine par an, sans compter le nickel, le cuivre, le chrome et l'or comme sous-produits. Le niveau exploité se trouve à 200 mètres de profondeur où des excavatrices attaquent le front rocheux. La roche, d'origine magmatique, est ensuite broyée jusqu'à former des grains de 22 micromètres, puis le tri des minéraux se fait par flottaison et liqueurs de densité, avant fusion sélective. Le rendement est de 2 g de platine par tonne de roche.
LE COMPLEXE DU BUSHVELDT. Le complexe du Bushveldt est intrusif dans des dolomies et des quartzites. De nombreux niveaux minéralisés affleurent dans le lit d'une rivière asséchée près de la ferme Maandaagshoek. En remontant la rivière on peut observer, entre autres : des niveaux de dolomie, de filons blancs quartzo-feldspathiques, de chromite, de pyroxénite, de péridotite et de dolérite. Ce site a été découvert en 1924 par le Docteur Merenski, et la région est maintenant connue géologiquement sous le nom de « Merenski Reef ». Le mot « reef » désigne un niveau minéralisé, la plupart du temps horizontal, en géologie minière. Mais le site le plus remarquable, d'ailleurs protégé et classé comme patrimoine mondial, est celui de la Dwars River. La gorge de cette rivière présente, de façon très spectaculaire des bancs décimétriques, avec alternances de chromite et d'anorthosite, illustration parfaite du phénomène de différentiation magmatique. Vers le village de Sekukhune, le long d'un ruisseau, on peut observer d'impressionnants bancs, parfois métriques, de magnétite, illustrant ici le phénomène de réalimentation magmatique. Certains bancs sont minéralisés en chrome et en vanadium. Ces derniers sont exploités dans une carrière proche de là.
Les anorthosites et chromites de Dwars River Les structures plissées de Sand River
LA PIPE DE KIMBERLITE DIAMANTIFERE DE CULLINAN. Dans la région de Cullinan il y a une douzaine de pipes de kimberlites. La mine appelée « Premier », ouverte en 1902, a fourni le plus gros diamant du monde, le célèbre Cullinan de 3 106 carats ( 625 g ). La mine à ciel ouvert correspond à une excavation de 400 m sur 1 000 m et de 200 m de profondeur. A l'heure actuelle les exploitations sont uniquement souterraines ( 700 Km de galeries !). La visite permet d'assister (de loin !), au concassage de la roche et au polissage des diamants, avant l'inévitable magasin où les plus riches peuvent faire leurs emplettes !
LE CRATERE D'IMPACT DE VREDEFORT. Les pseudo-tachylites peuvent être observées dans les carrières, maintenant abandonnées, mais privées (autorisation à demander), de Salvamento et de Leeukop. De gigantesques fronts de taille sont formés de brèches granitiques et de granitoïdes noyés dans une matrice de verre magmatique noir qui rempli les espaces entre les blocs. Ce verre provient de la fusion quasi instantanée des granites au moment de l'impact de la météorite. Non loin de là, à Rooderand, on se trouve dans des niveaux d'argilites fracturées : ce sont les shatter-cones formés au moment de l'impact. Les sommets de ces cônes pointent, en principe, en direction du point d'impact. Mais, si les couches d'argilites ont été plissées ce dernier argument est difficile à exploiter. Plus loin, les shatter-cones apparaissent dans des quartzites. Près de la ferme de Roemvyk affleurent les granophyres. Ces roches s'apparentent à des microgranites aphanitiques blanchâtres ; ce sont en réalité des mélanges entre les différentes roches qui ont été fondues instantanément. Toute cette région a été classée « World Heritage Site » par l'UNESCO, il n'est donc pas question d'y utiliser le marteau !
GOLD REEF CITY ET LE MINING MUSEUM . Johannesburg s'est développé sur les mines d'or du Witswatersrand, qui forment une couronne autour de la ville. L'or a d'abord été exploité à ciel ouvert dans des conglomérats fluviatiles, puis, toujours plus en profondeur. La visite de la Crown Mine s'impose, comme la plus riche mine d'or du monde. Avec l'ascenseur on atteint les 220 mètres de profondeur (sur les 3 220 mètres de la mine actuellement en exploitation !) et, à partir de là, munis de casque et lampe frontale, on parcourt des galeries où des mineurs refont, pour les visiteurs, les différentes étapes d'extraction de l'or en utilisant les mêmes machines que l'on pourrait retrouver 3 000 mètres plus bas. Au Musée de la Mine de nombreux panneaux didactiques retracent la géologie du Witswatersrand, l'extraction du minerai, la vie des mineurs, et, en final on assiste à la coulée de l'or pour former un lingot de 12 kilos.
REFERENCES :
J. F. Moyen, J.Y. Jolivel ; 2007. Géologie de l'Afrique du Sud. ( Trois livrets, 410 pages).
N. Norman , G. Whitfield ; 2006. Geological Journeys. 320 pages. De Beers, Cape Town.
W.U. Gibson; 2005. Meteorite impact. The Vredefort structure. C. van Rensburg Pub.